L'ADIEU
Lorsque je la revis après tant de semaines,
Tremblante, abandonnant ses deux mains dans les miennes,
Elle me dit : « Regardez-moi. »
Oh! comme elle était pâle et mortellement belle!
Et son cœur tressaillit quand je m'approchai d'elle
Avec tendresse, avec effroi.
Je regardai longtemps son col mince, ses lèvres,
Et ses sombres yeux bleus agrandis par les fièvres.
Ses beaux j'eux bleus, battus et las.
Un lent sourire errait sur sa bouche pâlie,
Elle me répétait avec mélancolie :
« Comme j'ai changé, n'est-ce pas? »
Et devant son sourire et sa joue amaigrie
Je ne me souvins plus que sa coquetterie
M'avait tiré des pleurs de sang,
Ni des jours furieux, ni des nuits insensées,
Lorsque loin d'elle, au vent des tragiques pensées,
Je criais, seul et frémissant.
Tout était oublié, puisqu'elle était si triste
Et si malade! Hélas! quel être huni;iin resiste
Au charme amer de la pitié?
Je la pris dans mes bras et couvris en silence
Sa tête de baisers fous, dont la violence
Me faisait vibrer tout entier.
A cette heure où déjà la mort voisine et prête
Ouvrait l'enfant futile à la crainte secrète
Du divin abîme inconnu,
Sentant la vanité des anciens jours frivoles,
Et combien je l'aimais, elle dit ces paroles,
A demi-voix : « Si j'avais su! »
Si j'avais su —le mot dernier de toute viel
Ce mot si vrai sorti de ton âme meurtrie.
Dans la joie et dans la langueur
Toujours revient aux yeux obscurs de ma mémoire ,
Évoquer ton visage et la commune histoire
Dont j'ai trop mal guéri mon cœur.
Paul Bourget