TOI, MOI-MÊME
Toi, moi-même
Toi, — moi-même, — âpre comme un vent
déchaîné
qui n'a pu qu'un instant en ses bras retenir
la feuille par lui-même à la branche arrachée,
se peut-il que rien ne t'émeuve,
qu'il n'y ait pluie qui te presse
ni soleil qui dissipe ta lassitude?
Etre une transparence sans objet
par dessus les lacs limpides de tes yeux,
ô tempête, ô déluge de jadis!
Si depuis lors je cherche ton image — ton image toute à moi —
si j'ai entre mes mains stériles noyé avec mes pleurs
l'ultime goutte de ton sang
et si depuis ce jour l'univers est sans coeur et sans fin le désert,
et chaque nuit nouvelle, lit de mousse au souvenir de ton étreinte,
comment vivre demain sans ton souffle près de moi,
sans tes doux yeux, sans ta bouche, ta bouche mienne,
sans tes bras immatériels entre les miens?
Je pleure comme une mère qui a remplacé son fils unique après sa mort.
Je pleure comme la terre qui a senti deux fois germer le même fruit parfait.
Je pleure parce que tu n'es que pour mon deuil
et que déjà je t'appartiens dans le passé.
Salvador Novo
Traduction d'Armand Guibert