CE QU'A FAIT PIERRE
Voici ce qu'a fait Pierre étant encor petit :
Mon père était marin, me dit-il ; il partit
Loin de nous, plusieurs fois, pour une année entière…
(Je vous répète là les mots que m'a dits Pierre.)
… Et j’avais vu ma mère, aux soirs d’hiver, souvent
Pleurer, les yeux fermés, en écoutant le vent.
« Pourquoi fermer les yeux, ma mère ? lui disais-je.
—Ah ! me répondait-elle, enfant, Dieu nous protège !
C'est pour mieux regarder dans mon cœur. —Qu'y vois-tu ?
—Un navire penchant, par les vagues battu,
Et qui porte ton père à travers la tempête ! »
Alors, pour m'embrasser elle avançait la tête,
Et moi je lui disais à l'oreille, tout bas ;
« Je veux le voir aussi ; je ne pleurerai pas. »
Mon père revenu, grande réjouissance.
La maison oublia les tourments de l’absence,
Mais moi j'avais toujours présents les soirs d’hiver
Où le vent fait songer aux navires en mer !
Et quand mon père allait pour sortir, fût-ce une heure,
Il disait, mécontent : « Voilà Pierre qui pleure ! »
Ma mère me prenait alors entre ses bras,
Et quelquefois mon père, ému, ne sortait pas.
Un soir que je semblais endormi sur ma chaise,
Après souper, ma mère et lui causaient à l'aise ;
Et mon père disait : « Demain, le bateau part ;
C’est très loin, mais on fait escale quelque part ;
Je t'écrirai de là ; sois paisible à m'attendre.
Quant à Pierre, il est bon ; mais trop faible, trop tendre ;
Il faut une Ame forte aux enfants des marins !
Je n'aime pas ces pleurs, ces cris, ces grands chagrins.
Il m’est dur de quitter un garçon de son ûge
Sans l'embrasser, de peur qu'il manque de courage !
Il faut que je le voie un homme à mon retour !
S'il savait que demain je pars au point du jour,
Quel désespoir ! J'entends partir sans qu'on l’éveille. »
Ainsi parlait mon père, et je prêtais l'oreille !
C’était mal d'écouter, je vous en fais l'aveu :
Le bien que j'en tirai du moins m'excuse un peu.
Voici. Je me dis : « Pierre, ayons « une âme forte ! »
Et quand le lendemain mon père ouvrit sa porte,
A la pointe du jour, doucement, doucement,
Il me vit en travers de la porte —et dormant
Sur le tapis du chien, tous les deux côte à côte.
Je m'éveille. Ma mère accourt ; moi, tête haute :
« Tiens, je ne pleure pas ! je suis un homme, vois,
Mon père !… »
C’était lui qui pleurait cette fois.
Jean Aicard