RÉPONS
A la mémoire de Paul Verlaine
Père et magicien, porte-lyre céleste
Qui, au luth olympique, à la syrinx agreste
Sut donner un accent d'amour
Ô divin fils de Pan, toi qui conduis le chœur
Aux propylées sacrés qu'aimait ton triste cœur
Au son du sistre et du tambour.
Que ta tombe, au printemps, de roses se parsème
Et que le mufle bestial du faune même
Soudain s'attendrisse en passant.
Que vienne à ce tombeau Pan à la double corne
Que de roses de sang et d'œillets pourpres t'orne
Le jeune Avril éblouissant.
Et si le noir corbeau sur ta tombe se pose,
Qu'à l'arrogant oiseau tout à l'instant s'oppose
Le chant céleste et cristallin
Que Philomèle sur tes vestiges égrène,
Délice de baisers et de rires, fontaine
D'un amour sylvestre et divin.
Et que la canéphore offre l'acanthe en fleurs.
Il faut sur ce tombeau ne point verser de pleurs,
Mais de la rosée et du vin.
Qu'ici pousse le pampre et la fleur de Cythère
Et que, sous le laurier symbolique et doux, erre
Un vague soupir féminin.
Et si quelque pasteur sous la fraîcheur d'un hêtre
Essaye aux jours d'amour son pipeau, que pénètre
En sa chanson ton nom vainqueur,
En attendant ce nom, que les naïades blondes
En un effroi soudain luttent parmi les ondes,
Pleines de faiblesse et d'ardeur.
Sur la montagne au soir, sur la montagne sombre
Des Visions, passe, étrange et géante, une ombre,
Ombre d'un Satyre spectral,
Que sa grandeur effraie le farouche centaure,
D'un pipeau surhumain que la courbe sonore
S'ajuste au rythme sidéral.
Un galop d'étalons par la montagne vaste
Fuit. Ton visage blême est par la lune chaste
Baigné de paisible lueur.
Et le Satyre, au loin, voit du sommet d'un mont,
S'élever une croix qui couvre l'horizon,
Et sur la croix une splendeur...
Rubén Darío
Traduction française de Georges Jean Aubry